Les antibiotiques, c’est encore automatique [Making-of]

Idées de départ

En cherchant des bases de données ouvertes, nous sommes tombés sur deux bases de données de l’assurance maladie. Il s’agit d’une base de données sur la prescription de médicaments en hôpital, Open Phmev, et d’une base de données sur les médicaments délivrés en pharmacie, Open Medic. Nous avons voulu nous concentrer sur la délivrance des antibiotiques. Dans quelques années, les antibiotiques seront la cause d’un des principaux problèmes de santé publique dans le monde : l’antibiorésistance.

En Europe, la France est l’un des pays qui consomment le plus d’antibiotiques. Face aux dangers encourus par une surconsommation, le gouvernement a voulu prendre les choses en main. Comme en témoigne la campagne « les antibiotiques, c’est pas automatique », lancée en 2002. Mais ces dernières années, la consommation est fortement repartie à la hausse.

Réorientation

Initialement, nous avons voulu étudier la délivrance des médicaments antibiotiques par les médecins libéraux, car la consommation antibiotique en France a continuellement augmenté sur les dix dernières années, alors que la prescription en hôpital est restée constante.

Mais les bases de données ne nous permettaient pas vraiment d’appréhender cette approche. Ainsi, nous avons préféré nous concentrer un angle plus sociétal voire politique, c’est-à-dire l’antibiorésistance : la capacité d’une bactérie à résister à l’effet d’un antibiotique.

Enquête : Sources extérieures et terrain

Face à ce problème d’exploitation de la base de données, il fallait contacter de nombreux experts afin de corroborer notre hypothèse de départ.

Nous avons ainsi demandé à Céline Pulcini, médecin infectiologue au CHRU de Nancy et membre du groupe de travail sur la préservation des antibiotiques, quel était l’état de la consommation antibiotique en France. Elle considère les antibiotiques comme nécessaires, mais estime que le recours à ces médicaments devient trop systématique.

Nous avons également joint Jean-Paul Hamon, président de la Fédération des médecins de France, ainsi que Coline Salaris, docteure en sciences politiques à Bordeaux, spécialisée dans les problématiques de santé publique. Les deux préconisent une consommation raisonnée des antibiotiques, car ils restent indispensables.

Une autre spécialiste nous a répondu : Rania Assab, doctorante au Conservatoire national des arts et métiers de Nouvelle-Aquitaine. Elle a gagné le concours « Ma thèse en 180 secondes » avec son sujet « la lutte contre la propagation des bactéries résistantes aux antibiotiques dans les hôpitaux ».

Enfin, nous avons contacté le docteur Olivier Patey, infectiologue à l’hôpital Villeneuve-Saint-Georges, en région parisienne, qui prône le recours aux bactériophages. Les bactériophages sont des virus qui vont se focaliser sur une bactérie précise, contrairement aux antibiotiques.

Enquête : Traitement des bases de données

Pour le traitement des données, nous avons voulu comparer la consommation d’antibiotiques entre les différentes régions françaises, à partir de la base de données Open Medic. Les Hauts-de-France est la région où l’on consomme le plus de boîtes d’antibiotiques (2,15 boîtes/an/habitant), contrairement aux Pays-de-la-Loire (1,53 boîtes/an/habitant).

Après la comparaison infranationale, nous avons comparé la consommation en France, l’un des plus gros consommateurs en Europe, avec quelques autres pays européens, selon les données 2016 de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM).

Nous avons également comparé l’évolution annuelle de la France et des Pays-Bas, où la prescription de doses journalières est le plus bas pour 1 000 habitants, toujours selon les données de l’ANSM.

Difficultés

La première difficulté a été de trier la base de données Open Medic, qui comprend plus de 1,8 million de lignes, pour ne prendre en compte que 150 000 lignes. Il a été délicat d’isoler les antibiotiques car la base de données ne permettait pas de les identifier. Il a donc fallu avoir recours à un pharmacien pour trier précisément Open Medic.

Trier la base de données a également demandé beaucoup de temps, car celle-ci est très loin d’être claire et facile à comprendre aux premiers abords. Malgré nos sollicitations, nous n’avons pas réussi à contacter le créateur de la base de données pour avoir certaines précisions.

Une comparaison brute entre les pays européens est possible grâce aux chiffres de l’ANSM. Mais cette comparaison ne permet pas vraiment de tirer des conclusions sur les différences de consommation des antibiotiques entre les différents pays. En effet, chaque pays possède son propre système de santé et ses propres habitudes de consommation. Il est donc possible de comparer strictement les différents pays, mais pas de tirer des conclusions définitives.

Sur ce sujet très scientifique à première vue, il a aussi fallu vulgariser certains termes. Les propos de certains experts étaient très techniques, nous avons donc dû les rendre plus compréhensibles.

Enfin, les outils de collecte des données, comme Openrefine, ne sont pas très faciles à prendre en main. Openrefine est un outil de nettoyage de la base de donnée, ce n’est pas un outil de manipulation. Il faut ensuite utiliser un autre programme pour retravailler cette base de données.

Visualisation finale

Pour illustrer la consommation européenne d’antibiotiques en doses définies journalières (DDJ) pour 1 000 habitants, nous avons choisi d’utiliser une carte avec un système de couleur et une forme graphique aboutie. C’est également le cas pour la carte avec la consommation d’antibiotiques dans les régions françaises.

Pour comparer les doses de consommation d’antibiotiques de la France et des Pays-Bas entre 2000 et 2016, nous avons privilégié un graphique en courbe, la forme la plus adaptée pour apprécier l’évolution sur la période donnée.

Enfin, pour expliquer le problème de l’antibiorésistance, nous avons choisi de réaliser une petite vidéo animée, format le plus ludique, par le biais de l’outil Powtoon.